Eveil et préjugés (2e partie)

Le Shao YIN, l’axe de la verticalité

Que se passerait-il si la Terre retrouvait son centre d’origine ? Probablement, le Shao yin reprendrait ce rôle d’empereur qu’Ego l’usurpateur lui a volé.

Au 1 l’Eau, au 2, le Feu.

Axe des origines et des commencements, Shao yin est aussi axe de la verticalité et de la transcendance, de l’élévation vers l’idéal du cœur. L’univers manifesté, par souci d’efficacité peut-être, et certainement avec une idée derrière la tête, a décidé de se créer à partir de sa finalité. Le chocolat avant le cacaoyer…Et notre univers personnel a bien évidemment décidé de faire de même. Quel message est venu délivrer notre axe Eau-Feu, Rein-Cœur ? La première chose remarquable quand nous examinons les points de l’axe Shao yin, est la répétition de l’idéogramme « Quan », la source, sur les premiers points et le point nœud. Shaoyin est relié aux eaux profondes des origines, le 1R, Le 1C et le 23RM sont les points de résurgence des énergies créatrices du monde.

3 points sources

1R , Yong Quan, source jaillissante, est la source associée à la floraison qui éclot dans un jaillissement, le Rein est le porteur de ce mouvement mystérieux qu’est la vie. Elle apparait à minuit, à l’heure sombre, immobile et porteuse d’espoir, et dans un élan irrésistible elle monte s’unir au 1C, « source du faîte ». Celui-ci, constitué de l’idéogramme « Ji », soumet l’homme à l’autorité du Ciel et de la Terre, mais c’est également un idéogramme qui traduit l’idée de l’Amour. « Se soumettre au Ciel et à la Terre » et « Amour » dans la même intention laisse peu d’espace aux déterminations portées par le Cœur. En s’unissant au 23RM « Lian Quan », Rein et Cœur vont irriguer la création et lui donner sa force : « Lian » est la main qui tient les deux javelles de céréales représentant les deux énergies de l’amour et de la vie, la main avec ses cinq doigts et son toucher, est l’image de la Terre qui va se saisir de ce qui l’animera. Cette idée est renforcée par la deuxième partie de l’idéogramme qui représente les jointures des murs d’une maison en pierres sèches. Le mouvement de vie et l’amour se sont enfouis dans la matérialité, créant leur chemin à travers le chaos, se différenciant pour mieux se manifester, portant l’espoir que quelqu’un, un jour, les reconnaisse et les réunisse de nouveau. Dès lors matérialiser l’amour et lui donner vie semble être le bout du chemin de l’incarnation, se transcender vers le Ciel devenant une partie de la quête mais non sa finalité, la simple nécessité de devoir décrocher la lune, le soleil et les étoiles pour les déposer dans la création.

Au plus profond, le shen

1, la vie, 2 l’amour. Et ainsi va la réalisation jusqu’au 5 où elle rencontre son accomplissement terrestre. Mais la vie étant ce qu’elle est, effrayante et formidable, sublime et tragique, elle se doit d’être conservée pour la protéger d’elle-même. C’est au Che contenu dans les reins que va incomber cette tâche, « la volonté de tendre vers un but », ne rien lâcher avant d’avoir accompli sa mission. Quant à l’amour, « la lumière de l’âme », indéfinissable affection tant convoitée, il sera saisi par le Shen du cœur, car seule « l’autorité des influences venant d’en haut » pourra contenir cette flamme ténébreuse. Quand il est fait référence aux Shen dans les textes traditionnels, il est surtout mentionné le Shen du cœur et les Houn et Po du foie et du poumon. Ils sont l’émanation du Shen cosmique, l’Unité préexistante, qui les dépose dans l’embryon avant de s’en retourner vers son mystère originel au centième jour de grossesse. Et cela nous montre deux choses : D’abord que nous connaissons tous l’Unité de l’âme propre à l’Eveil, c’est elle qui nous a modelés et sustentés à nos débuts, et ensuite que nous la possédons encore en version puzzle, petits shens trésors enfermés au fond de nos organes qui n’attendent qu’une chose, pouvoir reformer l’image originale. Nous sommes idéalement composés d’un centre Terre (actuellement décentré grâce à l’ego faut-il le rappeler ?), d’un axe vertical immobile Eau-Feu et d’un axe des bascules Bois-Métal permettant de créer un lien entre le Feu et l’Eau. Si nous nous positionnons à partir des Shen cela sous-entend que « les esprits de la terre animés du mouvement des nuages » du Houn reçoivent la vie du Che et deviendront ensuite par la montée du yang le premier support terrestre du Shen qui pourra s’animer à son tour. Mais que fait le Po ? « Les esprits de la terre animés du mouvement de la blancheur » devraient recevoir le Shen mais ils ont été pris de vitesse par la Terre positionnée au sud-ouest. Rêvons maintenant d’une Terre au centre qui a perdu son ego et où vont se rejoindre les quatre éléments restants. Saisit par le Po la spiritualité du Shen rencontrera enfin « les âmes terrestres » qui le conduiront vers le Che, l’amour pourra rencontrer la vie dans la Création du yin, et tous pourront reformer sur Terre l’Unité qui les a engendrés. Voilà pourquoi la tradition s’obstine à vouloir nous faire abandonner l’ego, non pas pour accéder plus facilement aux mystères du ciel contenu dans le cœur, ce mouvement se fait déjà assez aisément énergétiquement parlant, mais bien pour pouvoir permettre aux mystères vivifiés du cœur de descendre dans le yin pour recomposer l’Âme originelle.

Chapitre 1 du Su Wen

Ceci étant posé, revenons maintenant à notre problématique de départ : les femmes sont elles éligibles à l’Eveil ? La plupart des traditions nous offrant le bénéfice du doute quant à notre capacité à posséder une âme, nous ne voyons pas pourquoi il nous serait impossible de l’unifier. Nous pouvons accorder d’être différentes des hommes, il est bon parfois d’enfoncer quelques portes ouvertes, mais que disent les textes traditionnels à propos de cette différence ? Si on s’en réfère au chapitre 1 du Su Wen , les femmes sont gouvernées principalement par Chong Mai, Ren Mai, et les Reins, et les hommes par les reins et le foie.

« Chez la jeune fille à l’âge de 7 ans l’énergie des reins fonctionne déjà bien…Vers le 2ème septénaire, 14 ans, Le Tian Gui arrive. La circulation dans Ren Mai se fait bien, celle de Chong Mai est excessive… Enfin en arrivant à 49 ans en raison du vide de Ren Mai et de l’effondrement de Chong Mai…il n’y a plus de possibilité de fécondation ».

« Quant à l’homme à l’âge de 8 ans, et sous l’influence de la plénitude de l’énergie des reins …A 16 ans l’énergie des reins qui est florissante amène le tian gui par le débordement de la force et l’harmonie des énergies yin-yang. A 24 ans devant l’équilibre de l’énergie des reins les muscles (bois) et les os sont robustes…A 56 ans, le foie et les reins s’affaiblissent, la mobilité musculaire diminue… »

La femme, dans sa particularité

Le point clé du Chong Mai étant le 4 Rte (Terre), celui du Ren Mai le 7P (métal), plus les points du Rein (eau) il apparait que les femmes sont physiologiquement destinées à ce mouvement d’incarnation qui fait descendre le yang vers le yin quand les hommes sont eux destinés à faire monter le yin vers le yang, obéissants ainsi à leurs polarités yin-yang respectives. Et c’est maintenant qu’apparait toute la difficulté pour atteindre l’Eveil : S’il est assez aisé pour les hommes de faire monter la « vie du Che » dans le Shen en passant par le Bois, lui permettant ainsi de s’animer et de s’épanouir, pas question cependant pour eux de le matérialiser ensuite avec facilité. Il a fallu au seigneur Bouddha un renoncement aux pratiques ascétiques extrêmes avec retour à une alimentation légère et saine, et une nuit entière assis en méditation au cours de laquelle il a vaincu par sa sérénité les démons envoyés par Mara, pour réaliser l’Eveil. Autrement dit il a dû remplir sa Terre d’énergie correcte, mettre en contact son Shen serein avec les Gui du Métal (qui composent l’idéogramme du Po) pour enfin remplir son Eau et vaincre la peur, activant ainsi la voie de la descente dans le yin. Cette étape est représentée dans l’iconographie bouddhiste par « la prise de la terre à témoin », la main droite de Bouddha dirigée vers le bas, le bout des doigts en contact avec la terre, peut-être pour mieux y faire pénétrer le 9C. Il est ensuite remarquable de constater qu’il a ancré l’abandon de l’ego dans le temps en se maintenant 7×7 jours dans des états de méditations, tout comme les femmes portées par le chiffre 7 qui voient leur physiologie énergétique bornée par les 7×7 ans de leur vie génitale. Il ne faut donc plus se demander pourquoi depuis les temps les plus anciens les hommes s’assoient en silence et descendent dans les profondeurs de la nuit et de l’immobilité pour tenter à leur tour de s’Eveiller. Mais ce chemin nocturne est-il celui qui mènera les femmes à l’Eveil ? Il leur est naturel de descendre dans leur yin intérieur, c’est une voie qu’elles empruntent avec aisance, ce n’est donc pas ce qui va les gêner pour accéder à l’Eveil. Peut-être même que cette facilité au yin pourra être un frein dans un premier temps car l’abandon de l’ego reste impossible avec une Terre trop forte. Or les femmes, pour remplir leur sacerdoce maternel, sont physiologiquement gouvernées par un Chong mai et une Terre en excès, ce qui peut sous-entendre assez ironiquement d’ailleurs qu’elles devront attendre la fin de leur capacité à créer la vie pour donner naissance à l’Eveil, comme si l’arrêt de leur capacité de création terrestre laissait la voie libre à la création du ciel. Mais lorsque le temps sera venu pour elles de devenir la mère de l’Unité plutôt que du Un, elles devront laisser s’exprimer leur Kan, laisser le mouvement les hisser vers le yang et l’épanouissement de leur Shen. Elles ne trouveront pas l’Eveil en imitant les hommes, s’assoir sur un coussin et ne plus bouger ne les portera pas, elles vont devoir marcher pour stimuler leur Bois, s’élancer dans un monde extérieur qui leur est souvent hostile. Marcher à l’aube en méditant pour trouver leur Cœur, marcher au printemps en méditant pour l’épanouir, puis s’arrêter à l’automne et laisser se matérialiser avec l’aisance de leur yin ce qui aura éclos là-haut, dans leur âme. Peut-être suivront-elles les pas de Saint Jacques pour aller cueillir les étoiles de Compostelle, ou bien ranimeront-elles le Feu de Delphes pour le déposer à Bodhgaya, mais toujours elles devront favoriser le mouvement et l’ailleurs pour trouver leur « ici et maintenant ». Les femmes, malgré des millénaires d’accès pour le moins compliqué à l’enseignement, ont singulièrement réussi malgré tout, sous toutes les époques, à faire vivre en elles une riche spiritualité, à croire que le Bois les a discrètement aidées à monter vers le Feu en dépit des strictes lois imposées par le yang. Mais le mouvement énergétique est ainsi fait : il est plus facile d’emprunter la voie de montée vers le yang, libre de tout obstacle, que de suivre celle de la descente vers le yin qui doit surmonter l’intrus Terre en son milieu. Il est donc plus facile pour les femmes de se réaliser dans l’Eveil que pour les hommes, n’en déplaise à certains qui n’ont pas compris que la vie terrestre n’était pas une punition pour une faute commise par les femmes, mais bien un moyen d’incarner le paradis perdu, le ciel antérieur.

Dans les traditions

Les traditions asiatiques attendent l’avènement d’un nouveau Bouddha censé prendre la succession de Bouddha Shakyamuni, Maitreya, Bouddha de l’amour bienveillant. Autant Shakyamuni pour atteindre l’Eveil a dû transcender des énergies yin, féminines, jusque dans la compassion qu’il représente, autant Maitreya devra transcender les énergies yang du Feu pour laisser se répandre l’amour bienveillant dans les êtres qui le suivront. S’il nous est permis de rêver un peu c’est le moment ou jamais…

Alors l’Eveil est-il Créateur sur terre, est-il incarnation du paradis perdu? La plupart des traditions semblent attestées dans ce sens si on s’en réfère à la façon dont elles conçoivent ce qui a présidé à la création de la vie. Toutes semblent témoigner d’une volonté Toute-Puissante de faire descendre la spiritualité du Feu yang dans la matière yin, empruntant ainsi le même chemin que l’Eveil qui parait dès lors être l’avènement de cette intention d’origine. Allons donc faire un petit tour du côté de ces traditions pour voir comment le reste de l’humanité a conçu sa mise au monde.

L’une des traditions les plus anciennes, la tradition grecque, fait appel à quelques dieux à l’humeur belliqueuse et au charme tout relatif pour expliquer la génèse du monde. Hésiode, dans sa théogonie, nous invite à considérer que du Chaos naissent les premiers grands immortels à savoir Gaïa, la Terre, Erèbe, les ténèbres et Eros, le désir, principe de l’origine de la création. Eros. Notre premier dieu de l’amour. Il se glisse là, saisissant sa chance de faire le malin, déclenchant toute une chaine d’évènements qui aboutiront quelques petites années divines plus tard à plus de milliards d’individus que Gaïa ne peut en porter. Car Eros est l’étincelle de vie qui accompagne l’amour pour fertiliser la ténébreuse matière, Eros est le Feu qui a trouvé son chemin jusqu’au Tai Yin et à l’Eau, il est l’émotion créatrice issue du Chaos primordial, de l’unité préexistante.

Au commencement, la Genèse

Et Dieu dans tout ça ? Eh bien Dieu au commencement créa les cieux et la Terre, puis par la vibration du son de l’Eau il créa la lumière du Feu. Et il vit que cela était bon. Dieu aima la lumière. Seul ce sentiment d’amour a permis que la génèse soit. Puis au sixième jour Dieu vit que cela était très bon : Son plus grand acte d’amour venait de créer l’Homme à son image, mâle et femelle, un être unique, le deux dans le un. Ishtar, la belle déesse mésopotamienne de l’amour était androgyne également, tout comme l’est Eros, fils de Chaos. L’Unité, le ciel, la terre, l’Eau et le Feu qui donnent la vie. Mais insatisfait, l’Homme sentit le désir de rompre sa solitude et dû s’en plaindre à Dieu. Alors Dieu le sépara : il endormit l’Homme pour opérer sa transformation dans le secret de la nuit et du yin et il lui prit une côte. Pourquoi une côte ? Et pourquoi pas un bout d’os crânien, après tout se développer autour du cerveau n’aurait vraiment pas nuit au futur de toute l’espèce humaine, ou du bassin, si l’homme et la femme étaient destinés à se sexualiser autant commencer tout de suite par l’essentiel, non Dieu choisit une côte. L’histoire ne le dit pas mais certainement a-t-Il vu que cela était bon. Cette côte qui entoure et protège le cœur et qui les fera deux, cette côte qui enferme le siège de la vie. Et au matin Adam et Eve seront, accompagnés d’un serpent tentateur et d’une promesse qu’ils s’empresseront de rompre, propulsant leurs futurs millions d’enfants dans la guerre sans merci du bonheur perdu. Pour clore ce passage sur la Génèse arrêtons-nous quelques instants sur cette vibration sonore qui crée la lumière. Cette curieuse création se retrouve elle aussi à l’intérieur de notre univers personnel. Le 19IG, tinggong, palais de l’ouïe, nous apprend que la tradition chinoise associait également le son et la lumière. « Ting, l’ouïe : prêter l’oreille à la totalité de ce qui est dit et par cette écoute pouvoir juger avec le cœur et gouverner avec la claire-voyance de l’œil » (ph. Laurent ; l’esprit des points).

Et nous ne présenterons pas Atoum l’égyptien, « l’indifférencié » en même temps que « le complet », qui se sentant seul peut-être prit son plaisir à deux mains et créa Shou, le masculin, l’air, et son pendant féminin, Téfnout, l’humidité qui en s’unissant donneront naissance au Ciel et à la Terre. Et l’amour viendra alors, Terre et Ciel s’aimeront tellement que leur père sera obligé de les séparer, créant ainsi le monde tel que nous le connaissons.

Nous avons le choix

Ils se sont aimés, ils nous ont créés, quel que soit l’Origine un profond sentiment de joie semble décider de la création. Si l’amour n’est pas forcément le liant, le bonheur et la poésie sont présents malgré tout en filigrane, accompagnant le chant des serpents arc-en-ciel du Rêve aborigène, ou des légendes vaudou, ou le nom de la trinité maya, l’inspiré « cœur du ciel ». Ainsi va la vie au pays des dieux. Plus fleur bleue qu’une midinette en pâmoison, l’Elu moyen aime. Il a dérobé à la Totalité dont il connait les mystères le secret de l’amour qui donne la vie et il l’a murmuré à l’oreille de ses créatures. Ce secret est l’unique survivant des temps anciens d’avant les séparations et les divisions, l’unique survivant d’avant la solitude. Fidèle enfant de cette totalité il est potentiellement un tout en lui-même, il est la cause, la conséquence et la solution, il est le coupable, la victime, le jugement, la punition et la libération. Libre à chacun de s’Eveiller à sa réalité, libre à chacun de s’assoir ou de marcher pour partir à sa rencontre, libre à chacun de vivre son expérience. Car le choix est la raison d’être de la dualité, en effet quelle serait la valeur d’un Eveil dans l’Unité pour qui n’aurait pas connu le rêve de l’individualité ?

 

Sophie Moreau

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